Rien de plus banal que des photos de famille, souvent semblables d’un clan à un autre, d’ailleurs. Mais si on allait au-delà de l’image et qu’on les utilisait comme déclencheurs de souvenirs ?
Il y a quelques années, Catherine Garcia Cournoyer a perdu son grand-père. Elle s’est toutefois surprise à rester plutôt détachée devant le diaporama de photos qui défilaient lors des funérailles de l’aïeul. « Parfois, je reconnaissais mon grand-père, mais très souvent, je n’avais aucune idée de qui se trouvait sur les photos, ni lors de quels événements elles avaient été prises », raconte la designer graphique.
Elle s’est inspirée de cette expérience pour donner de la substance à son projet de maîtrise sur les photos souvenirs, dirigé par Jérôme Vogel, professeur à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Je cherchais des moyens de recréer une liaison avec ces photos qui font partie de mon patrimoine, de me les approprier en utilisant différents outils comme la retouche et le photomontage », décrit Catherine Garcia Cournoyer.
La designer graphique est donc partie à la rencontre de sa grand-mère et de ses six enfants pour en savoir plus sur les portraits. C’est alors que, bien sûr, elle a pu récolter de l’information au sujet des gens qui apparaissaient sur les photos et du contexte dans lequel ces images avaient été prises. Toutefois, on lui a aussi raconté une foule d’histoires plus ou moins liées aux clichés. « Ces photos ont des déclencheurs, ce que le sémiologue français Roland Barthes appelle le punctum, soit des détails qui provoquent une forte émotion chez la personne qui les regarde », explique-t-elle.
Son constat : ces déclencheurs ne généraient pas les mêmes souvenirs d’une personne à l’autre. « Inspirée par Roland Barthes, je n’ai pas choisi une approche qui cherchait la vérité sur ce qui s’était passé, mais une approche personnelle, intimiste, nuance la jeune femme. L’émotion est très importante lorsqu’on cherche l’essence d’une photo. »
Catherine Garcia Cournoyer a d’ailleurs reconnu un déclencheur en regardant une photo de son grand-père debout sur l’herbe, cigarette au bec, à côté d’un plan d’eau, avec des montagnes derrière. « Il y avait certainement toute une histoire autour de cette photo de mon grand-père, qui était un pêcheur, mais elle m’a rappelé qu’il était un grand fumeur, dit-elle. Elle m’a rappelé sa mort », due à l’emphysème pulmonaire.
Dans une vidéo, pièce centrale de l’exposition présentée par l’artiste en 2019, cette dernière transforme petit à petit l’image en retirant différents éléments, comme les montagnes, le ciel bleu et l’eau. « Il y a de moins en moins d’air qui passe dans l’image ; comme si le souffle était de plus en plus court, illustre-t-elle. À la fin, il reste seulement mon grand-père sur la photo. Même la cigarette est disparue, dans l’espoir qu’elle n’ait jamais existé. »
Si cette réappropriation est très personnelle, Catherine Garcia Cournoyer a réalisé avec l’exposition que sa démarche touche le public. « Même si les photos de famille ne sont pas les leurs, les gens ont été ramenés à leurs propres souvenirs, remarque l’artiste. Mon projet a aussi incité des gens à échanger des souvenirs, à raconter des choses qu’ils n’auraient pas pensé relater autrement. »
Gageons que ce projet donnera envie à d’autres d’aller fouiller dans leurs vieilles photos de famille pour déclencher des souvenirs qui iront bien au-delà de l’image…
Source :
Martine Letarte
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2022, p. 14