De la cuisine de sa grand-mère aux labos de l’UQTR, Isabel Desgagné-Penix poursuit sa quête : percer les secrets des plantes médicinales.
Qui aurait cru que des cataplasmes de moutarde allaient pousser une jeune fille brillante et curieuse à entreprendre des études qui la mèneraient un jour à produire des cannabinoïdes à partir de microalgues? C’est pourtant le fabuleux destin d’Isabel Desgagné-Penix, professeure de biochimie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Aujourd’hui titulaire de la Chaire de recherche sur l’ingénierie métabolique des microalgues et de la Chaire de recherche du Canada sur le métabolisme spécialisé végétal, cette biochimiste d’origine innue cumule les honneurs, notamment un Prix Mitacs – soulignant son leadership exceptionnel – de même que le Prix Lee-Lorch, qui récompense la qualité de son enseignement et de sa recherche. C’est sans oublier son implication au sein de la communauté, tout particulièrement auprès des groupes autochtones. Sans fard et avec une bonne dose d’humour, elle nous raconte ici son parcours, où s’entremêlent souvenirs d’enfance, récits de chamans, histoires d’amour passionnel et connaissances biochimiques hyper pointues, le tout porté par une détermination hors du commun.
Pourquoi avez-vous choisi d’étudier les plantes médicinales?
Plus jeune, je lisais beaucoup de livres, parfois romancés, qui parlaient de plantes ou de chamans. Je voyais ma grand-mère et nos voisines qui préparaient des cataplasmes de moutarde quand j’avais la grippe, et toutes sortes d’autres décoctions. Des fois, ça marchait, et des fois, ça ne marchait pas. Je me suis toujours demandé comment ces plantes pouvaient nous guérir… ou pas !
Et aujourd’hui, comprenez-vous pourquoi?
Bien sûr ! Prenez le chaga, un champignon médicinal utilisé par les Premières Nations. Il contient des milliers de molécules, toutes avec des propriétés différentes. On y trouve des sucres, des composés phénoliques, des stérols et des vitamines. Les sucres sont très solubles dans l’eau et les stérols sont solubles dans les graisses. En diluant de la poudre de chaga dans de la graisse d’ours, on peut extraire les molécules lipophiles – qui aiment la graisse –, dont l’acide bétulinique, qui a des propriétés anticancéreuses. Celui-ci a recours à différents mécanismes, mais il fait entre autres des petits trous dans les membranes des cellules cancéreuses. Par contre, si on infuse le chaga dans de l’eau chaude, on va plutôt extraire des sucres, dont les glucanes immunomodulateurs, parfois dits « antidiabétiques ».
Quelle est votre méthode de travail?
Je lis sur les méthodes autochtones traditionnelles et, ensuite, je confirme le mécanisme et les effets des molécules en laboratoire. Les plantes médicinales sont un sujet complexe. J’essaie de respecter les savoirs traditionnels autochtones, mais je ne veux pas m’embarquer dans une guerre dans laquelle il faut les valider à tout prix. Les connaissances traditionnelles orientent plutôt mes choix de familles de plantes et du type de molécules.
Dans le milieu de la recherche, comment est perçu votre intérêt pour les plantes médicinales?
Quand je dis que je suis biochimiste, c’est bon. Quand je dis que je travaille avec les plantes, je baisse d’un niveau. Quand je précise que ce sont des plantes médicinales, je descends encore d’un cran. Si j’ajoute que je travaille avec les savoirs traditionnels, là, j’attire des regards disant : « Quossé que tu fais là? » Ce ne sont pas des approches qui sont utilisées couramment par les chercheurs, mais j’ai tout de même réussi à faire ma place et à démontrer la qualité de mes recherches. Je n’ai pas à rougir de travailler avec les plantes médicinales. J’ai autant de publications, de subventions et d’étudiants dans mon laboratoire que n’importe quel autre chercheur.
Source :
Émélie Rivard-Boudreau
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2020, p. 6-7