Plusieurs femmes autochtones occupent déjà une place importante au sein de leur communauté, tandis que d’autres ont du mal à se faire entendre. Que nous dit la recherche sur le leadership féminin autochtone?
Les femmes autochtones, en plus des nombreuses violences qu’elles ont subies de toutes parts depuis des décennies, ont été dépossédées d’un grand nombre de savoirs ancestraux de même que d’une importante parole, qui refait peu à peu surface. Ainsi, jusque dans les années 1970 – époque à laquelle des directives sanitaires les ont poussées vers les hôpitaux –, ces femmes accouchaient elles-mêmes de leurs enfants avec l’appui des sages-femmes, alors très nombreuses. Or, le changement de politique a entraîné l’interruption d’une série de rituels importants : les cérémonies des nouveau-nés, celles des premiers pas, ou encore les rituels impliquant le placenta, dont les nouvelles mères doivent se défaire d’une manière particulière (l’enterrer sous un arbre, par exemple) pour consolider le lien à la terre et au territoire que l’enfant qui vient de naître occupera toute sa vie.
Il s’agit justement de l’un des sujets de recherche de Suzy Basile, directrice du Laboratoire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones – Mikwatisiw de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), qui cherche à documenter ces expériences d’accouchement ainsi que les rituels entourant la naissance pour que les femmes puissent se les réapproprier.
Le laboratoire de Suzy Basile a vu le jour à la suite des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. D’autres initiatives comme la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (aussi appelée « Commission Viens ») et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont aussi ouvert la porte à la création de groupes de recherche et de chaires.
« Les femmes autochtones ont été écartées des sphères de décision ; leurs rôles et leurs responsabilités, ignorés par les politiques coloniales ; leurs savoirs, leur lien au territoire et les conséquences de l’exploitation des ressources, dénigrés par les chercheurs et les décideurs. De plus, les recherches ont généralement omis de considérer l’impact de la colonisation sur la contribution des femmes à la vie sociale et à la gouvernance de leurs communautés et de leurs nations, notamment en ce qui concerne le territoire et les ressources naturelles. Le rôle des femmes autochtones au sein de leurs nations respectives demeure méconnu et négligé », écrit Suzy Basile dans « La relation des femmes autochtones au territoire », publié en 2018 dans le Magazine de l’Acfas. Le texte lui-même est tiré de la thèse de doctorat de la chercheuse, qui portait sur la place des femmes atikamekw dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles.
À l’heure actuelle, le laboratoire Mikwatisiw répertorie l’ensemble des recherches qui ont été faites sur les femmes autochtones au Québec et au Canada. Pour y parvenir, la directrice travaille donc de façon collaborative avec plusieurs regroupements de femmes ayant ce profil, ce qui a pour effet de créer une certaine effervescence autour de ses travaux. « Je n’ai même pas le temps d’inventer un sujet de recherche qu’on m’en soumet », affirme la scientifique, qui est elle-même originaire de la communauté atikamekw de Wemotaci, en Mauricie. Elle travaille en ce moment à dresser un portrait de l’implication des femmes autochtones en politique au Québec. « Ce portrait n’existe pas. Avant 1951, les femmes autochtones ne pouvaient pas participer aux assemblées publiques ni se présenter aux élections. Ça prend du temps, restaurer ce pouvoir qu’on leur a sciemment retiré... On voit de plus en plus de femmes qui s’impliquent dans leur communauté et dans les organismes autochtones, mais aussi en politique provinciale et fédérale », explique Suzy Basile.
Ses recherches ont des retombées directes sur les communautés. Par exemple, dans sa thèse, la chercheuse mettait en lumière l’importance de la pâte de bleuets, un savoir-faire unique aux Autochtones. Devant ce constat, quelques femmes de Wemotaci ont décidé de fonder leur entreprise pour commercialiser, à petite échelle et de façon artisanale, cette pâte. Voilà une belle façon pour ces femmes de gagner en autonomie, tout en mettant de l’avant leurs savoirs.
Libérer la parole
« On se sent fières, valorisées d’être à l’université, et moins isolées dans ce qu’on vit. » C’est là le témoignage d’une des participantes à l’école d’été des femmes autochtones, mise sur pied par Geneviève Pagé, professeure de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en partenariat avec l’association Femmes autochtones du Québec et le service aux collectivités du même établissement universitaire. Deux écoles de ce genre se sont tenues en 2017 et 2018; une troisième devrait avoir lieu à l’été.
Au total, huit femmes autochtones y ont pris part. Même si celles-ci jouaient déjà un rôle dans leur communauté, « elles n’ont pas nécessairement les outils théoriques et historiques pour analyser les dynamiques qui sont en cours dans les sphères économique ou politique, par exemple », confie Geneviève Pagé.
Source :
Gabrielle Brassard-Lecours
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2020, p. 9-11