Bien que l’événement soit rare, une collision entre une puce électronique et une particule ionisante provenant de l’espace peut rapidement devenir un cauchemar informatique.
À première vue, l’accélérateur de particules canadien TRIUMF, à Vancouver, n’est pas une destination de choix pour la recherche sur la mémoire informatique ; en temps normal, on y étudie plutôt la physique des particules. Mais pour Claude Thibeault, professeur au Département de génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS), l’endroit est idéal ! La raison est simple : en 10 minutes, il est possible d’y recréer les effets de plusieurs années d’exposition d’une puce électronique à des rayons cosmiques. Dans la nature, ces particules de très haute énergie circulent dans l’espace, avant d’être bloquées par le champ magnétique de la Terre. Malgré cette couche de protection, certaines parviennent à atteindre la surface et entrent en contact avec nos appareils électroniques. Cela peut occasionner de mauvaises surprises…
Le phénomène en cause est ce qu’on appelle le basculement de bits, ou bit flip en anglais. Il faut se rappeler que la mémoire informatique est faite de deux unités de base : les 1 et les 0, qu’on appelle des bits. « Quand les particules [ionisantes] entrent en contact avec certains types de puces, elles peuvent y inverser le contenu d’un bit de mémoire ; un 1 devient un 0, ou l’inverse, explique le professeur Thibeault. Cela peut entraîner des erreurs de calcul ou même briser la puce. »
Ce genre de réaction est rare. Par exemple, les puces les plus sensibles qu’on trouve dans un avion, dont les séjours en haute altitude entraînent une exposition aux rayons cosmiques plus forte que sur la terre ferme, peuvent subir un bit flip toutes les 20 heures de vol. À la hauteur du sol, ces événements sont environ 500 fois moins fréquents. Cela ne veut pas dire qu’on peut les ignorer pour autant !
« Les normes de fiabilité des puces qu’on trouve dans des véhicules automobiles sont tellement rigoureuses que même si les rayons cosmiques ne sont pas une grosse menace, on doit s’en préoccuper, précise Claude Thibeault. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et de la voiture autonome, l’électronique d’un véhicule devient à ce point complexe que le moindre bit flip peut avoir des conséquences importantes. »
Il existe heureusement des méthodes pour protéger les puces, dont celles des avions. On peut par exemple ajuster les transistors pour faire en sorte qu’ils soient moins sensibles. Il y aussi moyen de rendre les puces plus tolérantes aux erreurs en ajoutant de multiples copies de certains calculs importants, ou alors des codes correcteurs d’erreurs. Néanmoins, tous ces procédés rendent les puces plus coûteuses.
Tout devient alors une question de probabilité. « Notre recherche consiste à amasser des informations sur la sensibilité des puces et à étudier le côté statistique de la chose. La probabilité qu’une puce soit affectée par les radiations varie selon son contenu, et chaque type de mémoire a une sensibilité différente », détaille le chercheur. Il résume : « Les statistiques qu’on produit à travers différentes simulations permettront de choisir les bonnes techniques de protection en fonction du risque. » Comme quoi se protéger d’une menace de l’espace ne demande pas toujours des scénarios dignes de ceux d’Hollywood !
Source :
Renaud Manuguerra-Gagné
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2022, p. 12