L’importance de la recherche universitaire pour repousser la frontière des connaissances, pour développer de nouvelles technologies et pour faire croître l’économie est largement reconnue. En ce sens, les investissements en science dans le budget fédéral 2024 sont bienvenus. Comme l’a montré le rapport Bouchard déposé l’an dernier, il était urgent que le gouvernement fédéral réinvestisse dans le système de recherche canadien. Cependant, injecter de l’argent neuf dans le système ne suffira pas à améliorer sa performance. Pour que le Canada profite pleinement des retombées de la science et encourage sa productivité, il est tout aussi essentiel de distribuer le financement plus équitablement entre toutes les régions et les universités.
La concentration du financement fédéral de la recherche dans un nombre très restreint d’universités de grande taille nous empêche collectivement de bénéficier du plein potentiel de découverte des établissements universitaires de petite et moyenne taille. C’est d’ailleurs sur ce problème que se penche actuellement le Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes.
Le financement de la recherche est concentré dans seulement une quinzaine d’universités. Si ces établissements représentent environ 15% des universités canadiennes, ils captent pourtant 79% des fonds alors qu’ils ne comptent que 59% de la population étudiante aux cycles supérieurs et à peu près la moitié du corps professoral.
Ce déséquilibre n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat de biais systémiques favorisant les établissements de grande taille avec faculté de médecine. En effet, le système de soutien à la recherche crée un cercle vicieux où les subventions passées attirent les subventions futures, amplifiant ainsi les inégalités.
Il faut briser ce cercle vicieux si on veut maximiser les retombées de la recherche pour la science et pour la société.
Sur le plan scientifique, il est prouvé qu’au-delà d’un certain seuil financier, les investissements n’ont plus l’effet souhaité sur la productivité des chercheuses et des chercheurs. Les recherches montrent en effet que la concentration du financement produit un rendement décroissant lorsqu’on mesure celui-ci en nombre d’articles et en nombre de citations. Le véritable gage de la productivité de la communauté de recherche réside non pas dans le montant que reçoit un individu, mais plutôt dans le nombre de personnes à l’oeuvre. C’est en finançant un plus grand nombre de chercheuses et de chercheurs qu’on augmentera la productivité du système de recherche universitaire.
La concentration des fonds est non seulement une stratégie mal avisée pour soutenir la découverte, mais cette politique publique pose aussi des problèmes sur le plan du développement socioéconomique.
Les établissements de petite et moyenne taille sont intégrés dans le tissu économique et social de leur milieu. Ils y forment une main-d’oeuvre hautement qualifiée et leurs recherches portent en plus forte proportion sur les enjeux économiques, environnementaux et sociaux de leur collectivité.
Ainsi, en canalisant les fonds vers une poignée d’établissements avec faculté de médecine au détriment de la grande majorité des universités, sises en centres urbains comme en région, les modalités actuelles de financement de la recherche inhibent le développement des collectivités locales desservies par ces établissements.
Un constat similaire peut être posé quant aux communautés francophones. Depuis 20 ans, la part du financement total de la recherche octroyée par le gouvernement fédéral aux établissements francophones est en déclin. Les chercheuses et les chercheurs francophones reçoivent aujourd’hui un pourcentage des fonds moindre que leur poids démographique. Cela est une conséquence directe de la concentration des fonds dans un nombre restreint d’établissements universitaires dont la très grande majorité est anglophone.
Si le Canada veut maintenir la vitalité de ses collectivités et s’il veut agir pour la valorisation du français en science, il est impératif que les établissements de petite et moyenne taille reçoivent leur juste part du financement.
Le Canada a besoin de la créativité de toute sa communauté scientifique pour résoudre les défis de notre époque. Que les enjeux soient locaux, nationaux ou internationaux, leur résolution passe nécessairement par une recherche libre, diversifiée et innovante. En accroissant la productivité du système de la recherche, une distribution plus équitable du financement entre les établissements est notre meilleure chance d’y parvenir.
Lettre ouverte de l'Université du Québec et de l'Alliance canadienne des universités de recherche de petite et moyenne taille (ACCRU).