Des chercheurs rivalisent d’ingéniosité pour combattre des insectes qui, à la faveur du réchauffement climatique, ravagent les champs et les forêts du Québec.
Le doryphore de la pomme de terre porte bien son nom. Ce coléoptère de 10 à 12 mm de longueur est capable de ruiner un champ du populaire légume tuberculeux si on lui en laisse l’occasion. Dans les seuls États de New York et du Wisconsin, deux ou trois générations de « bibittes à patates » voient le jour chaque année! En raison du réchauffement climatique, les régions de la Capitale-Nationale et de Lanaudière, où l’on cultive le plus grand nombre de pommes de terre dans la Belle Province, auront un climat semblable d’ici l’horizon 2050; elles devront donc plus que jamais faire face à ce ravageur, au grand désespoir des agriculteurs.
« Il en coûte environ 50 $ par hectare pour traiter un champ contre cet insecte. Au Québec, où certains producteurs cultivent la pomme de terre sur 1 000 hectares, cela représente des investissements colossaux », affirme Karem Chokmani, professeur au Laboratoire de télédétection environnementale par drone de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). En collaboration avec l’entreprise Patates Dolbec, l’équipe du chercheur mise sur l’apprentissage profond, une branche de l’intelligence artificielle, pour dépister les larves de doryphore avant qu’elles ne saccagent un champ.
« Nous avons entraîné un algorithme à détecter le ravageur du haut des airs grâce à une base de données d’environ 1 000 images. Puis nous l’avons mis à l’épreuve devant des images d’une parcelle infestée de Sainte-Anne-de-la-Pérade qui ont été collectées par un drone commercial muni d’une caméra à haute définition », raconte Karem Chokmani. Après quelques essais et erreurs pour déterminer la vitesse et l’altitude de vol du drone de même que le réglage optimal de l’appareil photo, l’opération s’est révélée efficace : le taux de succès de détection frôle les 90 %.
Simple et peu coûteuse, cette méthode de dépistage automatique remplace avantageusement l’inspection visuelle des parcelles effectuée en temps normal par les producteurs de pommes de terre. Elle permet en outre d’obtenir une carte d’infestation quelques heures à peine après le vol du drone, ce qui ouvre la voie à un épandage ciblé d’insecticides. La prochaine étape de ce projet de recherche, financé notamment par le Consortium de recherche sur la pomme de terre du Québec, est d’opérationnaliser la méthode de manière à la rendre accessible.
Odeur de bière
Les insectes ravageurs s’en prennent aussi aux forêts. L’exemple de l’agrile du frêne est éloquent : depuis l’arrivée de ce coléoptère en Amérique du Nord, au début des années 2000, plus de 100 millions de frênes ont été abattus. L’hécatombe se poursuit encore aujourd’hui alors que 18 000 frênes ont connu ce triste sort en 2019 à Montréal, soit le double de l’année précédente. Fait intéressant : dans la phase initiale d’une infestation par l’agrile, le bois du frêne dégage une forte odeur de fermentation, semblable à celle de la bière. Il suffit d’enlever une couche d’écorce pour la humer.
Au début d’une attaque, l’arbre se défend en sécrétant des terpènes en forte concentration. Ce sont des molécules volatiles toxiques pour le ravageur. Pour les combattre, l’insecte compte sur un petit écosystème de champignons, de bactéries et de levures qu’il transporte », explique Claude Guertin, directeur du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’INRS et spécialiste de l’écologie microbienne et de l’entomologie. Les microorganismes associés aux insectes favorisent ainsi la colonisation et la survie de leur hôte sous l’écorce.
Claude Guertin croit que l’étude de la communauté microbienne de l’agrile du frêne au fur et à mesure d’une infestation pourrait fournir des indications sur la marche à suivre en matière de traitement de l’arbre. « Un frêne qui semble sain visuellement peut être ravagé dès l’année suivante. La caractérisation des bactéries, des levures et des champignons filamenteux associés à l’agrile donne l’heure juste sur l’infestation et sur la marche à suivre, notamment en ce qui concerne les stratégies de lutte biologique à déployer », souligne-t-il. Par exemple, le chercheur met à l’épreuve certains champignons toxiques pour freiner le travail de sape de l’agrile.
Foresterie nouveau genre
Le frêne n’est toutefois pas le seul arbre vulnérable aux insectes ravageurs. De fait, on estime que non seulement une quarantaine de ces parasites, mais aussi des maladies exotiques sèmeront la pagaille dans les forêts du Québec au cours des 50 prochaines années. « L’érable à sucre, une espèce emblématique de nos forêts, pourrait par exemple être décimé par le longicorne asiatique d’ici les prochaines décennies si rien n’est fait », s’alarme Christian Messier, professeur au Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Il cite un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature qui, en 2019, avançait que plus de 40 % des espèces d’arbres d’Europe présentent un « risque élevé d’extinction », notamment en raison des infestations d’insectes ravageurs. Pour freiner ces épidémies, le titulaire de Chaire de recherche industrielle CRSNG–Hydro-Québec sur le contrôle de la croissance des arbres fait de la biodiversité son cheval de bataille. Il prône un type de foresterie en rupture avec celle qui est pratiquée à l’heure actuelle, où la repousse de quelques essences commerciales prisées — le pin gris et les épinettes, entre autres — est favorisée. « L’idée est plutôt de planter un maximum d’espèces différentes les unes des autres en ce qui a trait aux caractéristiques biologiques et aux origines génétiques. Comme un portefeuille d’actions variées résiste mieux aux fluctuations de la bourse, une forêt diversifiée sera plus résiliente face aux changements globaux », compare-t-il.
Christian Messier base cette intuition sur plus de 10 années de travaux menés par IDENT, un réseau international de plantations de biodiversité qu’il a cofondé en 2009 à Sainte-Anne-de-Bellevue, sur l’île de Montréal. Aujourd’hui, IDENT a des antennes à Auclair, à Sault-Sainte-Marie, au Minnesota et en Europe, et il devrait étendre sous peu ses racines en Amérique du Sud et en Afrique. L’idée derrière ces sites est d’étudier l’effet de la diversité des aménagements d’arbres sur une foule de caractéristiques, par exemple la taille des semences, le taux de photosynthèse ainsi que le début et la fin de la période de croissance annuelle. « Nous en sommes rendus à soumettre ces plantations expérimentales à des stress, comme l’introduction d’un insecte ravageur, puis à analyser leur réponse », conclut-il. Le longicorne asiatique et ses semblables n’ont qu’à bien se tenir!
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Source :
Maxime Bilodeau
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Décembre 2020, p. 13