Qui sont les usagers de Twitter qui diffusent des contenus savants sur les changements climatiques?
De nos jours, les médias sociaux servent à mesurer non seulement les tendances sociales et les opinions politiques, mais également les impacts des publications scientifiques. Ainsi, un courant de recherche apparu au début des années 2010 vise à documenter la circulation d’articles scientifiques sur les plateformes numériques. Le doctorant en sciences, technologies et société Rémi Toupin a signé récemment un article sur le sujet dans le magazine Découvrir de l’Association francophone pour le savoir (Acfas). Intitulé «La communication scientifique sur Twitter: pour quel engagement public?», l’article présente les résultats préliminaires de sa recherche doctorale, menée sous la codirection des professeurs Florence Millerand, du Département de communication sociale et publique, et Vincent Larivière, de l’Université de Montréal.
Membre, entre autres, du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) et du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), Rémi Toupin veut brosser le portrait des internautes qui participent à la diffusion sur Twitter de contenus savants concernant les changements climatiques: articles, études, rapports, comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). «Les changements climatiques font partie des domaines de recherche où se font entendre des appels à une mobilisation collective, réunissant chercheurs et citoyens, afin de sensibiliser les responsables politiques et la population à l’importance de ces enjeux, note le doctorant. L’étude de la circulation sur Twitter des articles scientifiques à ce sujet constitue une piste pour comprendre comment cet appel se concrétise, notamment en caractérisant les publics qui se mobilisent autour des savoirs scientifiques.»
Selon le jeune chercheur, l’usage croissant des médias sociaux a engendré de nouvelles possibilités de communication pour les acteurs de la recherche. Twitter, par exemple, offre aux chercheurs et aux professionnels de la communication scientifique une plateforme permettant de rejoindre des publics diversifiés: responsables politiques, gestionnaires, professionnels et différents membres de la société civile. «Les médias sociaux, tels que Twitter, peuvent conduire à des modèles de communication plus participatifs, observe Rémi Toupin. Mais il importe de bien comprendre ce que signifie l’acte de tweeter, de connaître les différents types d’usagers et les publics qu’ils atteignent.»
Participer à la diffusion de connaissances scientifiques, notamment sur les changements climatiques, est aussi une façon de contrer la prolifération de fausses informations. «Cela explique l’invitation lancée aux chercheurs et aux communicateurs scientifiques à investir les plateformes numériques en tant que gardiens de l’information, remarque le doctorant. C’est le rôle que joue le Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse.»
Partages et repartages
Pour sa recherche, le doctorant a utilisé un corpus de 2 620 articles scientifiques, lesquels ont suscité un peu plus de 41 000 tweets – dont plus de la moitié ont été repartagés – de la part de quelque 22 000 usagers uniques.
Le jeune chercheur s’est basé sur des publications indexées dans le Web of Science, parues en 2015 et 2016, qui contenaient des mots-clés comme «Climate Change» et «Global Warming». «L’intérêt pour les articles était plus prononcé en 2016 qu’en 2015, ce qui est en partie attribuable à la médiatisation entourant l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique. Évidemment, mon corpus ne vise pas à refléter l’ensemble de la recherche sur les changements climatiques, mais il constitue un échantillon des publications les plus susceptibles d’être partagées sur Twitter.»
En se basant sur les textes descriptifs des comptes Twitter de chaque usager du corpus, Rémi Toupin a délimité sept catégories de publics qui participent à la diffusion de la recherche sur les changements climatiques: «Scientifiques», «Communicateurs et journalistes», «Politique» (militants écologistes, députés), «Professionnels», «Personnel» (simples citoyens), «Institutionnel» et «Éditeurs».
Des scientifiques en majorité
Les données recueillies par le doctorant sur les partages et repartages de Tweets indiquent que les usagers ayant partagé au moins une fois une publication sur les changements climatiques sont majoritairement issus du milieu universitaire. «Règle générale, les conversations autour des documents scientifiques sur Twitter, en dépit du caractère public de la plateforme, demeurent l’apanage d’un milieu spécialisé et suscitent peu d’engouement public.» Pourquoi? Parce que ces publications sont peu accessibles à l’extérieur des cercles restreints au sein desquels elles sont produites, notamment à cause de barrières financières (frais d’abonnement aux revues scientifiques) et techniques (non disponibles en libre accès), ou de leur langage très spécialisé. «Par ailleurs, les algorithmes de recommandation tendent à exposer les usagers à des contenus familiers ou à des personnes partageant les mêmes sensibilités, contribuant ainsi à créer des bulles informationnelles», note Rémi Toupin.
Néanmoins, même si la communication sur Twitter est principalement le fait de scientifiques, les résultats suggèrent un engagement significatif de membres de la société civile – des usagers associés aux catégories «Personnel», «Politique» et «Professionnel» – envers les publications scientifiques sur les changements climatiques. «Cette participation témoigne des préoccupation des citoyens pour ces enjeux, une participation plus importante que ce qui a été observé traditionnellement pour d’autres disciplines scientifiques, indique le doctorant. Cela montre aussi que l’engagement citoyen envers la recherche tend à être plus marqué là où les savoirs produits ont une résonance sociale ou politique forte, comme c’est le cas des études sur les changements environnementaux ou dans le domaine de la santé.»
Quel impact?
Pour documenter l’impact sociétal de la circulation des productions scientifiques dans les médias sociaux, Rémi Toupin croit qu’il faut aller au-delà des mesures quantitatives de l’utilisation des documents savants, comme le nombre de téléchargements ou de partages des publications en ligne, et recourir à des approches qualitatives.
C’est pourquoi le doctorant compte réaliser des entrevues avec des usagers – scientifiques et non scientifiques – qui détiennent un compte Twitter, afin évaluer leur degré d’implication dans le partage des articles et la façon dont cela se répercute dans une forme d’engagement dans la lutte contre les changements climatiques. «Au-delà du partage des contenus, il est essentiel de documenter les contextes au sein desquels s’effectue la diffusion des productions savantes pour comprendre la teneur de l’engagement citoyen, souligne Rémi Toupin. Les entrevues me permettront de me pencher sur la façon dont les usagers s’approprient les contenus et leur donnent un sens.»
Source :
Service des communications
UQAM, 21 janvier 2020
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