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Désinformation et cyberattaques

2019-11-27

Ingérences électorales, cyberattaques contres des infrastructures, campagnes de désinformation sur Internet, cyberespionnage économique… Voilà autant de phénomènes qui affectent aujourd’hui les rapports de force politiques à l’échelle internationale et qui contribuent à déstabiliser les États. Comment les interpréter et les contrer? Ces questions seront débattues lors du colloque international Cybersécurité, ingérence politique et manipulations de l’information, organisé par l’Observatoire des conflits multidimensionnels (OCM) de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. L’événement aura lieu à l’auditorium de la Grande Bibliothèque, le 29 novembre prochain.

Ce colloque est le premier organisé par l’Observatoire. Créé en avril dernier grâce à un soutien financier de la Banque nationale du Canada, l’OCM s’intéresse, notamment, aux stratégies déployées à l’international pour déstabiliser les États et fragiliser les institutions, aux manipulations de l’information et aux campagnes visant à influencer l’électorat. «Nous avons été interpellés par ce qui s’est produit aux États-Unis durant la campagne présidentielle de 2016, note le professeur du Département de science politique Frédérick Gagnon, directeur de l’OCM et titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand. Chaque mois, plus de 50 000 tweets mensongers ont été disséminés à travers le pays. Des hackers russes se sont ingérés dans le processus électoral, ont mis la main sur des courriels du Parti démocrate et ont diffusé de fausses informations visant à miner la crédibilité de la candidate Hillary Clinton. Malgré leur statut de superpuissance, les États-Unis n’avaient pas de stratégie pour se protéger contre ce type d’intrusions provenant de l’étranger. Nous nous sommes aussi demandé dans quelle mesure un pays comme le Canada pouvait être la cible de telles manoeuvres.»

Des panels regrouperont des chercheurs du Québec, du Canada anglais, des États-Unis, de la France et de la Finlande. On dressera un état des lieux sur la scène internationale et on se penchera sur les défis du Canada ainsi que sur le rôle des citoyens, des médias et de la société civile face aux menaces multidimensionnelles en matière de sécurité. «Nous voulons sensibiliser le public à cet enjeu, aux formes que prend de nos jours la désinformation», dit le chercheur.

Nouvelle donne technologique

Certes, les tentatives ayant pour but de déstabiliser des gouvernements et d’influencer l’opinion publique en sabotant des bases de données ou en ternissant l’image de personnalités politiques ne sont pas des phénomènes entièrement nouveaux dans l’histoire des relations internationales, reconnaît Frédérick Gagnon. «L’arrivée d’internet et des médias sociaux ainsi que le développement de technologies de communication de plus en plus sophistiquées ont toutefois changé la donne, souligne-t-il. Les dirigeants des États ont beaucoup moins de contrôle sur la circulation de l’information et sur son contenu.»

Les responsables des campagnes de manipulation de l’information ne proviennent pas tous d’officines gouvernementales. Il s’agit souvent d’acteurs non étatiques, d’individus, de groupes ou d’agences privées particulièrement difficiles à retracer. «À peu près n’importe qui, à partir de son salon ou d’un café internet, peut désormais diffuser de fausses nouvelles», observe le professeur.

Les États ne sont pas les seuls à être visés par les campagnes de désinformation ou les cyberattaques. «Des entreprises, des services publics, des médias et même des institutions financières peuvent aussi représenter des cibles», indique Frédérick Gagnon. Comme le rapportait le quotidien Le Devoir, en octobre dernier, les menaces en matière de cybersécurité sont devenues si complexes que la banque américaine Morgan Stanley a confié, en 2017, la direction de son nouveau centre de surveillance à une experte en contre-terrorisme. Pour coordonner sa nouvelle unité de lutte contre la criminalité financière, la Banque de Montréal a annoncé, au début de 2019, l’embauche d’un ex-directeur du Centre national d’intégration de la cybersécurité et des communications au Département de la sécurité intérieure des États-Unis.

La construction sociale de la réalité est en pleine mutation avec l’expansion des nouveaux outils de désinformation, poursuit le chercheur. «Aux fausses nouvelles écrites qui transitent sur les réseaux sociaux, comme cet article diffusé à la veille des dernières élections fédérales affirmant que Justin Trudeau avait eu des relations sexuelles avec des mineures à l’époque où il était professeur, s’ajoutent les vidéos truquées ou Deepfakes, qui cherchent à rendre plausibles des actes ou des propos totalement inventés.» Ainsi, en 2018, des millions d’internautes ont cliqué sur une vidéo de Barack Obama, dont la voix avait été imitée, dans laquelle il insultait Donald Trump. Selon Deeptrace, une compagnie spécialisée en cybersécurité, le nombre de ces vidéos a explosé dans les univers numériques, passant d’environ 8 000 à la fin de 2018 à près de 15 000 à l’automne 2019.

Le Canada ciblé

Même si son poids politique sur la scène internationale ne se compare pas à celui des États-Unis, de la Russie ou de la Chine, le Canada n’est pas à l’abri des tentatives d’ingérence étrangère et de déstabilisation. «Chaque mois, de nouveaux rapports démontrent la présence sur internet de fausses nouvelles destinées à influencer l’opinion des Canadiens, relève Frédérick Gagnon. Chaque mois, une nouvelle attaque ou intrusion provenant de l’étranger touche un organisme non gouvernemental, une entreprise ou un service public.» Il y a quelques mois, des analystes de Radio-Canada disaient avoir identifié des milliers de gazouillis orientés politiquement et susceptibles de provenir d’agences étrangères (russes, iraniennes et vénézuéliennes), visant spécifiquement des internautes canadiens. 

Des enjeux de société sensibles, comme la tuerie à la mosquée de Québec, le projet de pipeline Keystone XL ou la politique d’immigration du gouvernement Trudeau ont été exploités récemment par des trolls étrangers qui cherchaient à alimenter les polémiques et les divisions. «Les soldats canadiens qui participent aux missions de l’OTAN dans les pays baltes ont été la cible, en 2017, de campagnes de désinformation, rappelle le politologue. Le fait que le Canada s’allie aux États-Unis dans certains dossiers de politique étrangère peut également en faire une cible.»

Devant la complexité et le caractère nébuleux des menaces multidimensionnelles, les citoyens se sentent facilement démunis ou impuissants. «Parce que bon nombre de stratégies alimentent ou se nourrissent de la polarisation de l’opinion publique, il importe de créer des espaces d’échanges et de dialogue où les Canadiens pourront mieux s’informer, réfléchir et délibérer sur ces phénomènes, observe Frédérick Gagnon. À l’Observatoire, nous cherchons à créer des ponts entre des politologues, des experts en relations internationales et des spécialistes des nouvelles technologies. Alors que la réflexion sur ces questions est actuellement dominée par les Américains, nous croyons en la nécessité de développer une expertise canadienne.»

Dans le contexte actuel des rapports de force à l’échelle mondiale, marqué par les rivalités et la compétition, certains pays ont décidé de recourir à des moyens comme le cyberespionnage industriel ou la désinformation, et de les inscrire au cœur de leur stratégie de puissance internationale. «Peut-être que ce type d’approche permet d’éviter des affrontements directs, mais cela  demeure un jeu dangereux qui comporte des risques de dérapage et même d’escalade», conclut le professeur. 

Source :
Service des communications
UQAM, 26 novembre 2019

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Mise à jour: 23 mars 2023