Un virage dans la gestion et le développement des milieux urbains est plus que jamais nécessaire. Voici trois scientifiques qui cherchent à les épauler dans cette immense tâche.
Ensemble, on va plus loin
Pour lutter contre les changements climatiques, il n’y a pas photo: il faut s’attaquer aux espaces urbains, souligne Sophie L. Van Neste, professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « Plus des deux tiers de la consommation d’énergie globale y seraient associés. Les différents acteurs urbains ont donc un rôle déterminant à jouer dans la transition climatique et énergétique », estime-t-elle.
Délaisser les énergies fossiles comporte toutefois son lot de défis. « Les municipalités ne peuvent plus se contenter de favoriser la construction de bâtiments écoénergétiques sur leur territoire. Elles doivent aussi penser à leur emplacement, à leurs dimensions, à la proximité des services, dont ceux de transport en commun, et ce, dans une vision d’ensemble à long ou très long terme », énumère Sophie L. Van Neste, qui a réalisé une revue de la littérature sur la question.
L’experte pilote par ailleurs le projet Labo Climat Montréal, qui porte sur l’adaptation aux changements climatiques dans Lachine-Est, un écoquartier montréalais en développement d’une superficie de 60 hectares. Le but de ce « laboratoire vivant »: cerner les difficultés en matière de planification urbaine, avec la collaboration des diverses parties concernées par le projet − ingénieurs, architectes, designers, urbanistes, promoteurs, résidants…
Les ateliers d’échanges, qui débutent à peine, devraient fournir des pistes de solution afin de susciter une action concertée dans un contexte de changements climatiques. « L’action urbaine est multiple: on peut la voir comme un chassé-croisé de pouvoirs, de compétences et de savoirs divers. Pour l’instant, on constate qu’il y a des silos à briser, surtout à l’intérieur des appareils municipaux », conclut-elle.
Pour une croissance intelligente des villes
Fanny Tremblay-Racicot étudie un concept relativement nouveau, mais aussi vieux que les centresvilles nord-américains: les TOD, pour transit-oriented development. « Ce sont des ensembles immobiliers denses, diversifiés et conviviaux qui s’articulent autour des corridors de transport collectif. Les centres-villes de Montréal, de Québec et de New York sont tous des TOD, une idée qui a vu le jour au tournant des années 1990 », explique la professeure de l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Elle s’intéresse surtout à l’incidence des TOD sur l’utilisation des modes de transport collectif, l’une des mesures préconisées pour favoriser la transition écologique. Dans des conditions optimales, les TOD ont pour effet d’en augmenter l’achalandage, tout particulièrement quand il s’agit de se rendre au travail. Dans la réalité toutefois, plusieurs difficultés surgissent. « On essaie d’appliquer un ancien modèle à de nouveaux aménagements en se disant que c’est une panacée. Or, bien souvent, l’équation est incomplète : les infrastructures de transport ne sont souvent même pas construites qu’on planifie déjà de grands projets immobiliers », fait-elle remarquer.
La propriété foncière cause d’ailleurs bien des maux de tête, car son contrôle échappe aux municipalités et aux diverses instances engagées de près ou de loin dans le développement régional. « Celles-ci tendent à oublier que c’est le privé qui construit. La volonté de bâtir des logements abordables relève en somme des promoteurs immobiliers, qui misent généralement sur les condos destinés à des clientèles fortunées, synonymes de meilleures marges de profit », analyse-t-elle.
En revanche, les municipalités disposent de plusieurs outils afin de favoriser les TOD, comme la vente de terrains municipaux au-dessous du prix du marché et à certaines conditions, les programmes particuliers d’urbanisme, qui imposent aux promoteurs des règles incontournables d’aménagement du territoire, et les bonis de densification, encore une fois assortis de conditions, lesquels constituent un frein à l’étalement urbain. Ce sont ces derniers outils qui sont les plus exploités, selon les résultats préliminaires d’un sondage mené récemment par Fanny Tremblay-Racicot auprès de 20 villes canadiennes, dont Montréal, Québec, Longueuil et Laval. « Cela confirme l’importance du contrôle foncier et des interventions publiques. On ne peut pas laisser le marché se réguler », insiste la chercheuse.
Une essentielle justice environnementale
L’arbre devant chez vous n’est pas seulement beau ; il améliore votre qualité de vie avec sa canopée rafraîchissante et ses capacités à séquestrer du gaz carbonique et à neutraliser des particules fines nocives pour votre santé. Grâce à une carte numérique conçue par Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), les habitants de Montréal pourront bientôt prendre conscience des services écosystémiques rendus par chacun des arbres qui peuplent leur ville. Le nom de cet outil novateur élaboré en collaboration avec la Fondation David Suzuki: l’Explorateur d’arbres urbains. « Avec cette carte, nous jouons à la fois sur le volet de la sensibilisation et sur celui de la mobilisation sociale », souligne Jérôme Dupras. Le commandant Jacques Cousteau n’a-t-il pas dit: « On protège ce qu’on aime et l’on aime ce que l’on connaît » ?
Le scientifique se spécialise en économie écologique, un champ de recherche « qui permet de changer les mentalités », estime-t-il. L’Explorateur d’arbres urbains en est le parfait exemple: grâce à lui, la Ville de Montréal pourra déterminer en quelques clics l’apport des arbres qui se situent sur son territoire et l’efficacité de ses efforts de reboisement. « Les décideurs peuvent ainsi mieux comprendre les retombées de leurs interventions. Mieux encore, ils peuvent quantifier le coût des services rendus par des infrastructures végétales, puis le comparer avec celui des infrastructures grises », affirme Jérôme Dupras, qui joue également de la guitare basse au sein du groupe Les Cowboys fringants.
Sa démarche prend racine dans un souci de justice environnementale face à des changements climatiques qui, malheureusement, sont tout sauf équitables. Dans une étude qui sera bientôt publiée, il a analysé la quantité d’arbres ainsi que leur diversité dans divers quartiers de Montréal, de Québec, de Gatineau, d’Ottawa et de Toronto. Puis, il a comparé ces données avec différents indicateurs de vulnérabilité socioéconomique. Le constat est frappant: les arbres des villes situés en milieux défavorisés ont une moins grande capacité d’adaptation. Cette résilience moindre pourrait priver à plus ou moins long terme les populations de ces quartiers de précieux services écosystémiques. « Les êtres humains et l’environnement cohabitent et s’influencent mutuellement. Nous voulons faire la lumière sur cette relation d’interdépendance et, ainsi, agir sur les interventions publiques », dit-il.
Consulter le dossier complet Le Québec à l'heure des changements climatiques.
Source :
Maxime Bilodeau
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Décembre 2019, p. 11