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Le vote pour tous!

Ce n’est qu’à partir de 1993 que les Canadiens avec une déficience intellectuelle ont pu exercer leur droit de vote. Quel chemin a-t-on parcouru depuis?

Cela peut sembler Incongru : en 1993, les citoyens canadiens aux  prises avec une déficience intellectuelle ont enfin pu accéder au droit de vote. « L’ancienne loi électorale considérait ces personnes comme inaptes à voter. Cela a été contesté, car c’est une mesure trop arbitraire et discriminatoire », relate Bernard Gagnon, professeur en éthique à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). « Il fallait y mettre un terme, et c’est ainsi que l’accès au vote est devenu universel pour tous les citoyens canadiens, qu’ils aient une déficience intellectuelle ou non. »

Bernard Gagnon a fouillé la question dans un article publié en 2019 dans l’European Journal of Disability Research. Il y souligne que l’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies, établie en 2008, a poussé des États à modifier leur système électoral pour donner une voix pleine et entière aux personnes qui présentent une déficience intellectuelle. C’est le cas de la France, du Royaume-Uni et de l’Australie, qui ont abrogé cette pratique discriminatoire. Chez nos voisins du Sud, cependant, le contexte est différent. Certains États, comme la Floride et la Californie, peuvent soumettre des personnes placées sous tutelle à des tests afin de déterminer si elles sont aptes à voter. « Ces évaluations sont très contestées, car on ne les fait pas passer à tous les citoyens américains. Elles sont jugées discriminatoires parce qu’il faut décider à qui cela s’applique en préjugeant qu’une telle personne devrait passer le test avant d’aller voter », souligne Bernard Gagnon.

Un droit de vote plus inclusif

Si le Canada est exemplaire en ce qui a trait à l’accès au vote, déposer son bulletin dans l’urne demeure difficile pour une personne aux prises avec un handicap cognitif. Pourtant, des mesures ont été mises en place pour aider les gens avec un handicap physique, visuel ou auditif à participer à l’élection, par exemple l’implantation de bureaux de scrutin itinérants, des bulletins de vote adaptés aux électeurs aveugles ou le vote par la poste. « Les personnes avec une déficience intellectuelle peuvent avoir de la difficulté à comprendre les processus électoraux et le droit de vote », rappelle Bernard Gagnon. Il faudrait améliorer la façon de communiquer les enjeux électoraux en ayant recours à des tuteurs politiques, une avenue mise de l’avant par la philosophe américaine Martha Nussbaum. « Ce tuteur exprimerait le droit de vote au nom de la personne, et non pas à sa place », explique le chercheur. Par contre, cette mesure est critiquée, ajoute-t-il, parce qu’elle remet en question plusieurs principes du système électoral ; la confidentialité du vote, entre autres. D’autres idées émergent néanmoins, comme l’intervention d’un comité faisant office de « protecteur du citoyen ». Ses membres exprimeraient le choix électoral de certains groupes de la population. En pratique, cette avenue est toutefois loin d’être satisfaisante du point de vue éthique, puisqu’elle contrevient à l’individualité du vote.

Cela dit, on peut déjà se réjouir que les personnes vivant avec un ou des handicaps soient davantage consultées pour rendre le vote plus inclusif. Par exemple, elles forment un comité consultatif qui, depuis 2014, aide Élections Canada à améliorer l’accès au scrutin.

Dans tous les cas, la réflexion se poursuit, car il y aurait moyen de changer les structures politiques pour que chaque citoyen, peu importe ses différences, ait sa propre voix dans la société.

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Source :
Annie Labrecque
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril 2021, p. 13

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