Intégrer l’intelligence artificielle de façon responsable dans le monde du droit ? C’est la raison d’être du projet LegalIA.
« Bonjour, Leia. J’aimerais avoir tes conseils. C’est à propos de l’un de mes collègues de travail. Il me rabaisse et se moque de moi sans arrêt, ça devient vraiment difficile à vivre », confie l’homme au bout du fil. « À quelle fréquence est-ce que cela arrive ? » lui demande aussitôt Leia. « Bien trop souvent. » Le robot à la voix féminine l’informe être en train de parcourir la base de données juridiques à la recherche des possibles recours.
Voilà une conversation utilisée par les initiateurs du projet LégalIA pour présenter leur prototype en construction et l’un de leurs objectifs : rendre plus accessible le système de justice. « Le premier volet couvrira le harcèlement psychologique, car le cheminement d’une victime est souvent difficile. Elle peut mettre du temps à réaliser ce qui lui arrive et elle ne saura pas nécessairement à qui en parler, comment elle peut agir ou qui peut l’accompagner dans cette épreuve », explique la professeure du Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Laurence-Léa Fontaine, qui participe au projet. Leia, dotée de capacités de langage et d’une intelligence artificielle (IA), pourra aiguiller les individus vers les démarches juridiques possibles et des ressources spécialisées. Surtout, elle offrira des « consultations » anonymes et sans jugement. À terme, elle couvrira différents cas de figure en droit familial.
Lancé en 2017 par des professeurs d’informatique et de droit de l’UQAM, le projet LegalIA est une réflexion sur l’utilisation éthique de l’intelligence artificielle dans le monde du droit. Comment cela fonctionne-t-il ? L’algorithme de Leia repose sur la justice prédictive, soit la recherche de cas similaires traités dans le passé à partir de critères qu’on lui aura attribués. Ainsi, le robot pourra prédire le verdict des prochains litiges à vitesse grand V !
Si les avocats demeureront les seuls à pouvoir offrir de véritables conseils juridiques, Leia leur sera néanmoins utile pour préparer les plaidoiries. Habituellement, ils parcourent eux-mêmes pour leurs clients la jurisprudence dans la banque de données de la Société québécoise d’information juridique, mais la recherche peut être longue et les résultats approximatifs. « Chaque juriste a son histoire et risque d’utiliser des termes qui pourraient dénaturer la recherche. Avec un robot, il n’y a pas d’émotion en jeu, c’est la différence entre la machine et l’humain », déclare Laurence-Léa Fontaine. Les juges pourraient eux aussi y recourir.
Mais une confiance aveugle en la machine ne serait guère mieux. Il n’est pas exclu qu’un robot puisse intégrer des décisions juridiques discriminatoires à ses recommandations. Il serait alors lui-même biaisé. « Pour le moment, on est dans le flou, on ne sait pas comment la machine évoluera », dit Mme Fontaine, pour qui cette réflexion sur les dérapages éventuels de la technologie est essentielle pour introduire l’IA de façon responsable dans les tribunaux.
Au-delà de ses talents d’assistante juridique, Leia pourrait aussi fournir du soutien psychologique aux victimes de harcèlement. « Mais nous ne savons pas encore si M. et Mme Tout-le-monde accepteront de parler à un robot ou préféreront se confier à un être humain », s’interroge Laurence-Léa Fontaine. C’est ce qu’on verra avec le prototype de Leia qui devrait voir le jour cette année.
Source :
Chloé Dioré de Périgny
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2019, p. 13