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Mission du navire de recherche Lampsilis: des scientifiques recueillent de nouvelles données sur le fleuve Saint-Laurent

Une équipe de scientifiques à l’œuvre, sur le navire Lampsilis de l’UQTR. (Photo : André Benoit Cotton)

Au cours de l’été, le navire de recherche Lampsilis de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a mené la plus longue mission scientifique de son histoire – en termes de kilomètres parcourus –, accueillant à son bord des chercheurs de l’UQTR et d’autres institutions pour étudier le fleuve Saint-Laurent et ses écosystèmes. Les données recueillies, s’ajoutant à celles récoltées au cours des dernières années, permettent de constater que la santé de l’immense cours d’eau demeure préoccupante.

La première partie de la mission s’est déroulée du 19 juillet au 4 août, de la naissance du fleuve (lac Ontario) jusqu’à Cacouna (zone en eau salée). Pendant ce trajet, les chercheurs ont mené des travaux tout particulièrement sur la qualité de l’eau et la microbiodiversité. Ils se sont intéressés notamment au phytoplancton (algues microscopiques), aux bactéries (ex. E. coli), à différents contaminants (produits pharmaceutiques, hormones, pesticides) et à la présence de matière organique. Ils ont également prélevé des échantillons d’eau pour en extraire l’ADN environnemental.

Accroissement des cyanobactéries

« Nous nous sommes rendu compte que dans la zone des Grands Lacs, il y a peu de nutriments indésirables dans l’eau. Mais lorsque nous nous déplaçons vers Montréal et le lac Saint-Pierre, nous voyons un changement complet dans la composition du phytoplancton. Celui-ci devient de plus en plus dominé par les cyanobactéries, dont la prolifération est nuisible à l’environnement. C’est un indicateur de la réponse de l’écosystème à l’enrichissement en nutriments indésirables dans l’eau, ces derniers provenant des villes et du monde agricole », note le professeur en sciences de l’environnement François Guillemette, qui est aussi membre du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE) de l’UQTR.

En comparant les résultats obtenus cette année avec des données recueillies vingt ans plus tôt, les chercheurs ont aussi constaté qu’avec le temps, la biomasse de phytoplancton s’est accrue dans le fleuve et que les cyanobactéries s’avèrent de plus en plus présentes.

Des bactéries E. coli

L’équipe de chercheurs s’est aussi penchée sur la contamination de l’eau du fleuve par la bactérie E. coli (Escherichia coli), bien souvent responsable de la fermeture des plages.

« Depuis cinq ans, nous constatons que la Ville de Montréal est un gros pollueur fluvial, rapporte François Guillemette. Pour l’instant, la station d’épuration des eaux usées de cette municipalité ne fait que du traitement primaire, ce qui ne désinfecte pas l’eau, ni ne tue les microorganismes présents. Lorsque nous prélevons des échantillons à l’endroit où sortent les rejets de l’usine de traitement montréalaise, nous obtenons jusqu’à un million de colonies d’E. coli par 100 millilitres d’eau. La norme canadienne actuelle pour la baignade est de 200 colonies par 100 millilitres. »

En s’éloignant de la source des eaux usées de Montréal, le niveau de bactéries E. coli chute rapidement, mais reste tout de même élevé. « En plein milieu du lac Saint-Pierre, aux abords de la voie maritime, nous avons trouvé des niveaux très élevés d’E. coli en provenance de Montréal. Et les traces d’E. coli montréalaises sont présentes jusqu’à Trois-Rivières », mentionne le chercheur.

Les cours d’eau qui se déversent dans le fleuve accumulent aussi, le long de leur parcours, des bactéries indésirables rejetées par les habitants riverains. Les endroits où se jettent ces tributaires dans le Saint-Laurent affichent ainsi des niveaux élevés d’E. coli. La circulation de nombreuses masses d’eau dans le fleuve crée une dynamique changeante, ce qui exige de nombreux points d’échantillonnage pour bien comprendre l’évolution de la contamination dans le temps et l’espace.

« La bactérie E. coli peut provenir des humains et des animaux. Pour savoir de quelle source sont issues les bactéries E. coli prélevées dans le fleuve, nous avons fait des analyses génétiques. Déjà, des résultats partiels nous indiquent que dans la majorité du temps, la contamination par E. coli dans le fleuve est de source humaine. Une faible proportion seulement proviendrait du milieu agricole », signale le professeur Guillemette.

Des néonicotinoïdes dans l’eau

Depuis 2017, les équipements du navire Lampsilis servent aussi à vérifier la présence de pesticides dans le fleuve. « L’équipe de recherche a encore procédé à cette mesure cette année, en collaboration avec le laboratoire du professeur Sébastien Sauvé de l’Université de Montréal, indique François Guillemette. Au fil du temps, nous avons constaté la présence d’au moins une classe de pesticides dans la majorité des sites de prélèvement. Mais il s’agit de niveaux très faibles, très souvent sous les normes environnementales. Toutefois, à certains endroits, nous enregistrons des dépassements de normes pour une sorte de pesticides : les néonicotinoïdes. Ces derniers, que l’on croit à l’origine du déclin des abeilles, se retrouvent donc dans l’eau et seraient susceptibles de nuire aux insectes aquatiques. »

L’ADN environnemental : pour connaître les espèces fluviales

Au cours de l’été, les scientifiques naviguant à bord du Lampsilis ont également prélevé des échantillons d’eau servant à l’analyse de l’ADN environnemental. « Nous cherchons des brins d’ADN qui se trouvent dans l’eau, explique le chercheur. Ce sont, par exemple, de petits bouts de peau ou du mucus perdus par les poissons. Nous analysons ces fragments pour savoir de quelle espèce ils proviennent. Ces travaux nous permettent d’identifier quelles espèces de poissons ou de microorganismes sont présentes dans le Saint-Laurent. »

L’ADN d’un poisson détecté à un endroit du fleuve ne permet toutefois pas de dire que cette espèce habite le site de prélèvement. « L’ADN se déplace au gré du courant. Il peut être repêché à Trois-Rivières, alors que le poisson duquel il provient était situé plus en amont, par exemple dans le lac Ontario. C’est pourquoi nous procédons aussi à la capture de poissons, grâce au chalut du Lampsilis, pour pouvoir comparer les prises obtenues avec les résultats issus de l’analyse de l’ADN environnemental. Cela nous permettra de vérifier l’efficacité de l’analyse génétique pour la localisation d’espèces dans le fleuve », précise le professeur Guillemette.

Étudier la faune et ses habitats

En deuxième partie de mission, le navire Lampsilis a parcouru le fleuve de Cacouna à Trois-Rivières, pendant les premières semaines d’août. Les chercheurs présents à bord se sont intéressés principalement aux communautés de poissons et à leurs habitats, au zooplancton (dont se nourrissent les poissons), aux insectes aquatiques et aux contaminants présents dans les sédiments. Ils ont aussi observé de quelle façon la biodiversité était affectée par les activités urbaines et agricoles.

Un navire essentiel pour la recherche

Tout au long de la mission du Lampsilis, de nombreuses données ont été recueillies par les chercheurs. Elles seront analysées au cours des prochains mois afin d’en dégager davantage de résultats et constats.

« Les informations obtenues grâce au Lampsilis nous permettent d’établir un portrait actuel de l’état de santé du fleuve. Cependant, il demeure difficile de tracer l’évolution de cet état de santé, car nous n’avons pas beaucoup de données issues du passé. C’est pourquoi nous voulons organiser des missions scientifiques chaque année sur le Saint-Laurent, afin d’amasser les informations nécessaires à l’établissement de tendances historiques. Le Lampsilis demeure aussi un outil tout particulièrement important pour évaluer l’impact des changements climatiques et de l’augmentation du trafic maritime sur les écosystèmes fluviaux. Notre navire est une infrastructure de recherche indispensable pour le Québec. Il favorise aussi grandement le travail de collaboration entre les scientifiques », de conclure François Guillemette.

Outre l’UQTR, les chercheurs qui ont participé à la mission 2021 du Lampsilis étaient rattachés aux institutions suivantes : Génome Canada, Institut national de la recherche scientifique (INRS), Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) – Université du Québec à Rimouski (UQAR), Université de Montréal, Polytechnique Montréal, Pacific Northwest National Laboratory et River Institute (Cornwall). Parmi les chefs de cette mission figurait Elizabeth Grater, récemment diplômée à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQTR.

La mission du Lampsilis a été organisée en partenariat avec le Réseau Québec maritime, dont le professeur François Guillemette est l’un des directeurs thématiques.

Le Lampsilis

Inauguré en 2005, le Lampsilis est un bateau-laboratoire dédié à l’étude de la portion d’eau douce du fleuve Saint-Laurent et de sa zone de transition estuarienne. Long de 25 mètres et large de près de 7 mètres, ce navire de type catamaran bénéficie d’un très faible tirant d’eau. Cette caractéristique lui permet d’échantillonner autant les habitats riverains de faible profondeur que les zones profondes à fort courant.

Le Lampsilis est doté d’un laboratoire humide et d’un laboratoire sec. Il est aussi équipé de sondes permettant de mesurer les propriétés physiques, chimiques et optiques de l’eau. Il comprend également des échantillonneurs pouvant fournir des spécimens d’eau, de sédiments, de plancton, d’invertébrés et de poissons. En incluant l’équipage, le Lampsilis accueille jusqu’à 25 personnes pour une mission d’une journée et peut loger 8 personnes (incluant l’équipage naval).

Pour plus de détails sur les missions réalisées par le Lampsilis, nous vous suggérons les articles suivants :

Source :
Service des communications
UQTR, 30 septembre 2021

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