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Reconnaître le racisme systémique… pour mieux le changer

Le racisme vécu par les Autochtones est documenté depuis longtemps. Néanmoins, il a fallu la vidéo virale de Joyce Echaquan pour provoquer une prise de conscience collective. Peut-on maintenant espérer un réel changement?

L’automne dernier, le drame de Joyce Echaquan a bouleversé le Québec. Tout juste avant de mourir, cette femme atikamekw de 37 ans s’est filmée en direct sur Facebook pour montrer comment elle était mal traitée et insultée par le personnel soignant de l’hôpital de Joliette. Une illustration-choc des inégalités raciales dans le système de santé ; un problème décrit par plusieurs études et rapports depuis des années.

« Le public réalise que les personnes qui se disent victimes de discrimination racontent la vérité, qu’elles n’exagèrent pas. Et c’est beaucoup grâce aux médias sociaux, qui permettent aux gens de le voir de leurs propres yeux », explique Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Il croit que cette nouvelle prise de conscience sociale pourrait attirer davantage l’attention sur les analyses qui continuent de sortir sur le sujet. Or cela ne garantit pas un réel changement sur le terrain, d’autant plus que le gouvernement du Québec refuse de reconnaître l’aspect systémique de ce racisme.

« [Le problème] n’est pas tant le racisme manifesté par certaines personnes, même s’il y en a, mais les conséquences de politiques publiques sur des populations vulnérables. Souvent, ces politiques n’ont pas été implantées en vue de nuire, mais pour toutes sortes de raisons historiques et culturelles, elles heurtent tout de même des groupes », explique celui qui est aussi avocat.

Prenons l’exemple de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Un jeune placé en famille d’accueil doit avoir à sa disposition une chambre à coucher, de préférence privée. « Cela permet de donner de l’intimité à l’enfant, mais il y a un manque critique de logements dans les communautés autochtones, et pratiquement personne n’y a sa propre chambre », explique Sébastien Brodeur-Girard. Par défaut, cette politique exclut d’emblée presque toutes les familles autochtones en communauté. « Elle finit donc par encourager le placement des enfants autochtones dans des familles non autochtones et par les couper de leur culture », soutient-il.

Pour arriver à des changements, il faudra modifier ces politiques. « Mais en refusant de reconnaître la dimension systémique du problème, le gouvernement est très mal placé pour agir », affirme Sébastien Brodeur-Girard, qui a participé à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, dont le rapport — déposé en septembre 2019 — comprend 142 appels à l’action.

Le devoir de documenter

D’aucuns s’entendent pour dire que l’affaire Joyce Echaquan n’est que la pointe de l’iceberg. « Par exemple, on commence à parler des stérilisations forcées de femmes autochtones qui se sont passées il n’y a pas si longtemps et des enfants enlevés de leur famille dans les années 1950, 1960 et 1970 », indique Me Brodeur-Girard.

Documenter ces pans de l’histoire aidera à mieux comprendre pourquoi les Autochtones ont peu confiance envers le système de santé. « En plus, à l’hôpital, on ne s’adresse pas à eux dans leur langue, alors ils ne comprennent pas bien, et cela alimente leur méfiance », ajoute-t-il. « Ils peuvent ainsi percevoir les milieux de soins comme dangereux et refuser de s’y rendre. Des gens sont morts pour cette raison. »

Bien sûr, toute société préférerait que ces histoires d’horreur n’aient jamais eu lieu, et aucune n’aime se faire accuser de racisme systémique. « C’est encore plus vrai pour les autorités, affirme Sébastien Brodeur-Girard. Il y a des intérêts politiques en jeu, et la question de l’image est très importante. Documenter le caractère systémique du racisme est donc crucial pour que, un jour, on finisse par le reconnaître, et qu’on puisse changer les choses. »

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Source :
Martine Letarte
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril 2021, p. 12

 

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