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RES[TES] : la décomposition humaine se poursuit pendant l’hiver

À la fin de l’été 2020, le laboratoire extérieur de recherche en sciences thanatologiques [expérimentales et sociales] (REST[ES]) de l’UQTR, situé à Bécancour, a démarré ses activités en accueillant des corps humains provenant de donneurs, pour l’étude de la décomposition cadavérique. Depuis, différents travaux ont été menés par des chercheurs sur le site. Ces derniers prévoyaient que la froidure hivernale interromprait le processus de décomposition, mais à leur grande surprise, celui-ci s’est poursuivi malgré les températures au-dessous de zéro.

« Nous avions assumé que les corps, placés sur le sol, seraient congelés par les basses températures de l’hiver, ce qui stopperait la décomposition. Mais en creusant sous un mètre de neige pour atteindre deux dépouilles, nous avons constaté visuellement que la décomposition se poursuivait et nous avons senti son odeur », rapporte Shari Forbes, directrice de REST[ES] et professeure au Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR.

La chercheuse et ses collaborateurs ont pu prendre des échantillons de fluides, ce qui n’aurait pas été possible avec un corps complètement congelé. La présence de ces fluides – actuellement en cours d’analyse – confirme la poursuite de la décomposition par les bactéries.

« Nous avons été très étonnés par cette découverte, d’autant plus qu’aucune publication scientifique ne parle de ce phénomène, commente Shari Forbes. Il y a peu d’endroits où il est possible d’étudier la décomposition humaine sous la neige, à part dans un établissement du nord du Michigan. Et les chercheurs de ce site, à qui j’ai parlé, ne m’ont rien rapporté à ce sujet. C’est pourquoi jusqu’à présent, nous ne pouvions qu’estimer ce qui se passait sous la neige. Maintenant, nous avons la réponse grâce à nos travaux sur le site REST[ES]. Nous serons ainsi les premiers à publier ces résultats. »

Aider les équipes policières de chiens pisteurs

La poursuite de la décomposition des corps pendant l’hiver est une découverte que Shari Forbes s’empressera de partager avec les escouades canines de recherche, avec qui elle travaille régulièrement. « Les maîtres-chiens m’ont souvent dit que leur chien pisteur pouvait trouver un corps sous la neige. Je leur répondais que ce n’était sans doute pas possible, en raison de l’absence d’odeur de décomposition pendant l’hiver. Mais maintenant, je sais que ces entraîneurs avaient raison. J’ai pu sentir moi-même l’odeur de décomposition pendant la saison froide. Cela explique pourquoi les chiens peuvent repérer des corps durant l’hiver, grâce à leur flair », ajoute-t-elle.

En octobre dernier, le site REST[ES] a accueilli cinq chiens pisteurs et leurs maîtres, en provenance de forces policières ontariennes. Pendant une journée, les chiens ont été mis en présence des odeurs de dépouilles humaines à différents stades de décomposition. Ils ont ainsi été entraînés à reconnaître ces odeurs, pour pouvoir retrouver autant les corps de personnes récemment décédées que ceux de victimes disparues depuis longtemps.

« Cet exercice s’est très bien déroulé, mentionne la chercheuse. Plus les chiens étaient exposés aux odeurs, plus ils devenaient capables de les repérer rapidement. Nous avons pu constater qu’ils progressaient dans leur travail tout au long de la journée. Cela démontre l’importance d’un site comme REST[ES] pour améliorer l’entraînement des escouades canines. Si la pandémie le permet, nous prévoyons organiser une autre journée de ce type cette année, cette fois avec une quinzaine de chiens. Ils proviendront des forces policières de l’Ontario, de l’Alberta et, nous l’espérons, du Québec. »

Les insectes de la décomposition : de précieux indices

Parmi les scientifiques œuvrant au site REST[ES] figure Julie-Éléonore Maisonhaute, chercheuse postdoctorale en entomologie forensique. Elle étudie les différentes espèces d’insectes qui se succèdent sur une dépouille humaine, au fur et à mesure de la décomposition. Le type d’insectes retrouvés sur un cadavre peut aider à estimer le moment où remonte la mort d’une personne.

« J’ai commencé mes travaux avec des carcasses de porcs, sur un site temporaire localisé sur le campus. Le porc est souvent utilisé comme modèle scientifique pour la décomposition humaine. Lorsque REST[ES] a lancé ses opérations, j’ai pu ensuite mener des recherches sur des dépouilles humaines. J’ai déjà pu constater qu’il existe de petites différences entre les insectes nécrophages retrouvés chez les porcs et ceux prélevés sur des cadavres humains », signale Julie-Éléonore Maisonhaute.

La scientifique observe non seulement les insectes présents sur les corps en décomposition, mais elle prélève également des œufs et des larves de mouches. Elle élève ensuite ceux-ci en laboratoire, pour ainsi obtenir des adultes dont elle peut identifier l’espèce.

« Les insectes sont utiles pour évaluer le moment du décès, mais ils peuvent aussi nous indiquer si un corps a été déplacé après la mort. Par exemple, si une dépouille retrouvée en campagne présente des insectes qui ne fréquentent que les milieux urbains, nous pouvons supposer que le corps a probablement subi un déplacement. Dans le cas où une dépouille humaine est trop abîmée pour permettre des analyses toxicologiques ou autres, les insectes s’avèrent aussi utiles. Puisqu’ils ont absorbé des substances provenant du corps en décomposition, nous pouvons mener des analyses directement sur eux », mentionne la chercheuse.

Julie-Éléonore Maisonhaute partage déjà son expertise avec des techniciens québécois en scène de crime. En collaboration avec eux, elle souhaite aussi mettre en place un protocole de prélèvement des insectes sur les corps de victimes, spécifiquement pour le Québec. De plus, elle est en discussion avec les forces policières pour obtenir l’accès à certaines scènes de crime réelles, ce qui lui permettra de pousser plus loin ses recherches.

Des projets intéressants pour les étudiants-chercheurs

Au cours des derniers mois, une douzaine d’étudiants ont pu travailler sur le site REST[ES]. Trois d’entre eux, inscrits à la maîtrise en sciences de l’environnement, œuvrent tout particulièrement avec Julie-Éléonore Maisonhaute. Il s’agit de Sophie Morel et Marc-Antoine Perreault, qui cherchent à comparer les insectes de la décomposition chez l’humain et le porc, et de Pierre-Louis Arcand, qui s’intéresse aux effets du gel et du dégel sur la décomposition des corps et les communautés d’insectes.

D’autres étudiants se sont joints aux recherches de Shari Forbes sur les odeurs de décomposition, en lien avec les chiens pisteurs. Des étudiants spécialisés en microbiologie ont aussi mené des travaux sur les bactéries de la décomposition. Une étudiante se penche également sur les biomarqueurs du corps pour développer une nouvelle méthode d’estimation du temps écoulé depuis la mort.

« Notre équipe inclut aussi la doctorante en sciences biomédicales Emily Pecsi. Elle a notamment constaté que les bactéries du sol entourant une dépouille changent au fur et à mesure de la décomposition. À la demande du ministère de l’Environnement, elle a également vérifié le niveau de contamination du sol, en lien avec la décomposition cadavérique. Elle a découvert que cette contamination est presque inexistante et qu’elle demeure localisée tout près du corps. Ce résultat est une excellente nouvelle, car il indique que l’impact environnemental des recherches sur le site REST[ES] demeure minime », souligne Shari Forbes.

Au cours de la prochaine année, la chercheuse prévoit la venue d’une autre étudiante qui s’intéressera tout particulièrement aux empreintes digitales et à la possibilité de prélever celles-ci sur des dépouilles humaines, à différents stades de décomposition. L’équipe de REST[ES] accueillera également une nouvelle étudiante pour des recherches sur la reconstruction faciale à partir d’un crâne humain. Ces travaux seront fort utiles pour identifier une personne grâce à ses restes.

Poursuivre et accroître les activités

« Nous sommes chanceux de pouvoir continuer nos recherches sur le site REST[ES] malgré la pandémie, note Shari Forbes. Puisque nous travaillons toujours avec des masques et des gants, dans un environnement extérieur, nous pouvons poursuivre nos activités en toute sécurité. Et c’est une excellente chose, car nous continuons ainsi à aider les forces policières. »

La directrice de REST[ES] se dit très heureuse des travaux réalisés sur le site au cours des derniers mois : « Tout fonctionne vraiment bien. Des gens continuent à se manifester pour offrir leur corps à leur décès, pour nos projets de recherche. Nos collaborations se multiplient également avec les forces policières et d’autres établissements. REST[ES] est de plus en plus connu et les offres de partenariat de recherche s’accroissent. Mon prochain défi, ce sera d’obtenir les subventions nécessaires pour augmenter la superficie du site REST[ES]. Cela nous permettra d’accueillir un plus grand nombre de corps et de mener davantage de projets. »

Le site REST[ES]

Localisé sur un terrain de la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIPB) – laquelle permet à l’UQTR d’utiliser les lieux sans frais –, le site REST[ES] est une installation sécurisée en plein air, située dans une zone isolée et boisée. Depuis l’été dernier, ce laboratoire extérieur accueille les dépouilles de donneurs volontaires, pour l’étude des processus physiques, chimiques et biologiques de la décomposition humaine en climat continental nordique.

Les recherches menées sur ce site visent principalement à aider les forces policières dans leurs enquêtes sur les décès ou pour la recherche des personnes disparues. D’une superficie d’environ 1 600 m2 et entouré d’une clôture sécurisée, REST[ES] est sous surveillance constante afin d’assurer le bon déroulement des recherches ainsi que l’intégrité et le respect des donneurs.

Source :
Service des communications
UQTR, 17 mai 2021

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