Il y a quelques années, le photographe britannique Robbie Cooper a juxtaposé les portraits d'amateurs de jeux vidéo avec leur avatar. Le résultat, Alter Ego, est visuellement fascinant. On pourrait penser que les joueurs profitent de la fiction pour s'affranchir des représentations traditionnelles du corps, mais ce n'est pas le cas. «Dans la réalité, l'identité est un concept intimement lié au corps et cela se transpose dans les jeux vidéo, observe Maude Bonenfant. Une étude réalisée en 2004 à propos de quelque 200 000 avatars de World of Warcraft a démontré que les plus populaires étaient les humains et les elfes, plutôt que les trolls, les gnomes, les nains ou les zombies. Les joueurs choisissent des avatars convenus et stéréotypés.»

Professeure au Département de communication sociale et publique, Maude Bonenfant anime le séminaire «Pratiques des jeux vidéo et communautés de joueurs», offert dans le cadre de la concentration Jeux vidéo et ludification de la maîtrise en communication. La séance d'aujourd'hui porte sur les effets de la pratique ludique sur l'identité individuelle et collective. Dix étudiants y assistent – trois finissent leur baccalauréat en médias numériques, quatre sont inscrits à la maîtrise en communication, un à la maîtrise en histoire et deux autres proviennent de l'UQTR et de l'UQAT.
L'identité en construction
D'entrée de jeu, Maude Bonenfant s'attaque à une conception erronée. «Quand on dit que les jeux vidéo sont virtuels, on postule que l'identité virtuelle est moins réelle, mais les amateurs de jeux vidéo savent que c'est faux. Quand je joue, je ressens des émotions, je réfléchis, je perçois des choses. Le jeu a réellement cours, tout comme les rapports sociaux qu'il implique. Si je me fâche, par exemple, c'est pour vrai! Et si je développe une amitié en ligne, c'est aussi sincère que si c'était avec quelqu'un hors ligne.» Plutôt que d'utiliser les termes «virtuel» ou «virtualité», la chercheuse préfère parler de fiction.
La notion d'identité peut être appréhendée selon différentes théories, explique-t-elle à ses étudiants. La vision essentialiste classique stipule que chacun doit «découvrir» son identité. C'est le fameux «Connais-toi toi-même» de Socrate. Selon la conception postmoderne de l'identité, dite processuelle, celle-ci se construit plutôt à travers nos actions et nos rapports sociaux. «Cette conception de l'identité s'applique bien aux jeux vidéo, où l'on est constamment en action, note la professeure. La construction identitaire fictionnelle, dont le résultat n'est jamais achevé, est donc très éloignée de tout déterminisme.»
Source :
Pierre-Etienne Caza
ACTUALITÉS UQAM
19 février 2016