Le gouvernement du Canada a annoncé ces derniers jours un plan d’urgence de 82 milliards de dollars afin de soutenir les individus et les entreprises aux prises avec des difficultés financières en raison de la pandémie. Le gouvernement du Québec, pour sa part, octroie une aide de 2,5 milliards aux entreprises. «C’est la meilleure solution pour les semaines à venir, avance le professeur du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM Philip Merrigan. Il faut agir vite et distribuer les chèques de la manière la plus libérale possible, quitte à réajuster le tir par après. Les ménages comme les entreprises doivent avoir la liquidité nécessaire pour effectuer les paiements urgents. Il faut éviter à tout prix la panique financière.»
Autre moyen pour assurer la liquidité et aider les familles: augmenter le montant des allocations familiales dès maintenant, propose le professeur. «Le montant des allocations est habituellement déterminé en fonction des revenus déclarés l’année précédente, ce qui fait en sorte que les parents dont les revenus ont baissé depuis la crise ne recevront l’augmentation que l’année prochaine. Ça fait une grande différence dans la vie des familles. Il y aura toujours moyen de récupérer l’argent versé en trop, au moyen des impôts. L’économie doit continuer de fonctionner.»
Dans un deuxième temps, les gouvernements, tant fédéral que provincial, pourraient se montrer plus stricts envers les entreprises et analyser en détail leur situation économique afin de déterminer où sont les vrais besoins, poursuit Philip Merrigan. «Des évaluations pourraient avoir lieu dans deux mois, par exemple. Le gouvernement a toutes les informations nécessaires sur la situation des entreprises. Comme les petites entreprises ont un taux de faillite important, bon nombre d’entre elles avaient déjà des problèmes bien avant la crise sanitaire…»
Combien de temps le Canada et le Québec peuvent-ils maintenir la tête hors de l’eau? «Le Canada est en excellente posture pour faire un déficit de l’ordre de 100 milliards de dollars, croit Philip Merrigan. Idem pour le Québec, qui pourrait soutenir un déficit de l’ordre de 10 à 15 milliards de dollars. C’est beaucoup d’argent, certes, mais le Canada a la marge de manœuvre pour le faire et cela sans affecter sérieusement sa capacité financière. Au cours des dernières années, le pays a réduit la taille de sa dette par rapport à celle de son économie.»
Si les mauvaises conditions économiques perdurent au-delà de trois mois, les programmes d’aide gouvernementaux pourraient être appliqués de nouveau sans problème, assure le professeur. «Oui, le poids de la dette augmenterait, mais c’est un déficit soutenable pour une année, tant au niveau provincial que fédéral.»
Les pertes d’emplois massives, comme celles observées dans le secteur des commerces «non essentiels» (meubles, voitures, etc.), se traduiront évidemment par des pertes de revenus importantes non seulement pour les travailleurs affligés, mais également pour le gouvernement. «Les taxes sur les biens et services (TPS/TVQ) vendus par ces commerces ne sont pas prélevées pour l’instant et leurs employés ne paient pas d’impôts, en plus de devoir être soutenus», note le professeur. Par contre, les fonctionnaires, les employés du secteur parapublic et de nombreux travailleurs occupant des emplois bien payés, comme les ingénieurs, les analystes financiers, les notaires ou les programmeurs informatiques, sont toujours en emploi, grâce au télétravail, et continuent, donc, de payer des impôts. «Une grande part des cotisations individuelles perçues par le gouvernement provient de ce type d’emploi à haut revenu, explique Philip Merrigan. Il va y avoir une baisse énorme des impôts perçus sur les masses salariales, mais cela sera mitigé par ceux provenant de ces emplois hautement qualifiés.»
Effort demandé de la part des banques
La Banque du Canada a, elle aussi, pris les choses en main en déployant des mesures pour soutenir l’économie canadienne et le système financier, comme celle d’abaisser les taux d’intérêt.
Durant la dernière crise économique de 2008, le gouvernement, par l’entremise de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), a rassuré les banques en rachetant les hypothèques des Canadiens afin de les libérer du risque de non-paiement. «Le gouvernement a répété le même geste cette année: la SCHL a racheté l’équivalent de 50 milliards d’hypothèques la semaine dernière, précise Philip Merrigan. Cette mesure permet aux banques de faire d’autres types de prêts.»
Les banques sont les vaisseaux sanguins de l’économie, rappelle le professeur. «Elles doivent aussi faire leur part en aidant les entrepreneurs et en faisant preuve de souplesse durant la crise. Le gouvernement ne peut pas tout faire à lui seul. Tout le monde doit mettre l’épaule à la roue.»
Risques à long terme?
La crise sanitaire causée par le nouveau coronavirus affectera-t-elle l’économie de manière permanente? Les gens, et en particulier les personnes âgées, ne vont peut-être pas se précipiter d’emblée dans les salles de cinéma ou les théâtres ou se remettre à fréquenter les restaurants de sitôt, prédit Philip Merrigan. Certaines habitudes de vie ou de consommation pourraient se maintenir une fois la crise passée, du moins durant les semaines suivant la levée des restrictions. L’industrie du voyage sera grandement affectée, croit l’expert. «Il y a aura probablement plus de réglementations. Des pays pourraient se montrer plus sévères et exiger des visas de la part des voyageurs pour entrer sur leur territoire.»
Il est certes difficile, voire impossible, de prévoir l’avenir. «Les économistes sont habitués de faire des prévisions, mais en ce moment, le monde traverse une période d’incertitude, et dans de telles circonstances, il est impossible de se prononcer sur ce qui arrivera après la crise.»
Source :
Service des communications
UQAM, 27 mars 2020
Toutes les actualités de l'Université du Québec à Montréal >>>