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Alzheimer : entre gestion et prévention

Chaque année qui passe, la maladie d’Alzheimer prive les personnes qui en sont atteintes d’un peu plus de leur mémoire, mais aussi d’une part d’elles-mêmes. Toutefois, des avancées scientifiques donnent de l’espoir.

Et si quelque chose d’aussi simple que la prise d’antioxydants avait le potentiel de ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer ?

L’affirmation a de quoi surprendre, car l’alzheimer est l’une des maladies les plus complexes et les plus difficiles à comprendre de notre époque. C’est pourtant ce que suggèrent les travaux du professeur Charles Ramassamy, spécialiste de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « L’alzheimer est une maladie liée à l’âge, et l’un des indicateurs les plus courants du vieillissement, c’est le stress oxydatif », mentionne le chercheur. Ces molécules dérivées de l’oxygène, qui s’avèrent très toxiques pour les cellules et dont la production augmente avec l’âge, sont impliquées dans de nombreuses maladies. « Or, bien qu’on sache que ce stress est plus élevé chez les patients atteints d’alzheimer, on ne sait pas s’il est une conséquence ou un précurseur de la maladie », ajoute-t-il.

Ce n’est pas dans le cerveau que le professeur Ramassamy a concentré ses efforts afin de résoudre ce dilemme, mais plutôt en périphérie, dans la circulation sanguine. « Le sang contient une grande quantité de ce qu’on appelle des vésicules extracellulaires, explique-t-il. Ces petites poches sont libérées par tout type de cellules, y compris les neurones du cerveau, et contiennent une panoplie de molécules, dont des marqueurs de stress oxydatif. » Leur analyse permettrait donc d’obtenir de l’information sur ce qui se passe dans le cerveau au moyen d’une simple prise de sang, ce qui est beaucoup plus simple qu’avec de l’imagerie médicale ou une ponction lombaire !

En analysant les marqueurs de stress oxydatif dans des échantillons de sang provenant d’une banque de patients à risque de développer la maladie d’Alzheimer, l’équipe de Charles Ramassamy a montré qu’on pouvait distinguer les personnes qui seront atteintes de ce mal de celles qui seront touchées par d’autres types de démences, et ce, jusqu’à cinq ans avant l’apparition des premiers symptômes. « Ce stress oxydatif est présent dans plusieurs maladies ; pas juste l’alzheimer, précise le professeur Ramassamy. Cependant, certains marqueurs oxydatifs augmentent uniquement chez les patients qui développeront l’alzheimer. Si on ajoute à l’analyse différents gènes de prédisposition à la maladie, il est possible d’augmenter encore plus la précision des prédictions. »

Les avantages de cette découverte sont doubles. Tout d’abord, elle montre qu’il est possible de détecter des signes de la maladie d’Alzheimer des années avant les premiers symptômes ; un point crucial, puisque l’une des plus grandes difficultés avec ce type de neurodégénérescence est qu’on la détecte souvent alors qu’il est déjà trop tard. « Cette maladie est irréversible, poursuit Charles Ramassamy. Lorsqu’on détecte sa présence à l’aide de tests cognitifs, les dommages sont déjà étendus. Si on veut avoir la chance de prévenir ou ralentir son évolution, il est important de trouver des marqueurs qui sont faciles à surveiller et qui apparaissent bien avant le développement de symptômes. »

Ensuite, ces biomarqueurs précoces ne servent pas qu’à prévenir le patient de la maladie qui le guette : ils pourraient servir à en retarder l’évolution. « Puisqu’une oxydation anormale semble précéder le déclin cognitif de nombreuses années, la prise d’antioxydants — notamment par la nutrition — non seulement a le potentiel d’agir sur le cerveau et de ralentir la progression de l’alzheimer, mais elle pourrait aussi être bénéfique pour une panoplie de problèmes systémiques, conclut le chercheur. Plusieurs études évaluent actuellement cette possibilité. »

Au cœur du langage

Il n’y a pas que des marqueurs biologiques qui permettent la détection précoce de l’alzheimer. Pour certains chercheurs, une autre piste se trouve dans des marqueurs… linguistiques !

« Le langage est affecté très tôt par la maladie d’Alzheimer, souligne Sylvie Ratté, professeure au Département de génie logiciel et des technologies de l’information de l’École de technologie supérieure (ÉTS). Même avant que des tests cognitifs réalisés par un médecin ne soient envisagés, on peut détecter des altérations dans le langage qui pointent vers un alzheimer précoce. »

Ces altérations peuvent être aussi nombreuses que subtiles, surtout en début de maladie. « On peut trouver des changements du côté de la syntaxe, du lexique, des silences, des pauses, des mots qu’on ne trouve pas… Des centaines de caractéristiques peuvent servir d’indices », poursuit la chercheuse.

Pour repérer ces indicateurs, Sylvie Ratté fait appel à un associé de recherche hors du commun : une intelligence artificielle ! « Même pour les meilleurs experts, c’est impossible de capter tous les détails montrant une détérioration. À l’opposé, une machine peut analyser des centaines de paramètres extraits d’une conversation, en plus de faire des corrélations entre différents événements dans le temps. »

Ce type d’intelligence artificielle peut être utilisé dans deux contextes. Dans le premier scénario, le patient peut se soumettre à un test qui consiste à décrire une image ; on s’attend à ce qu’une liste de mots ou de points clés soit mentionnée. L’autre possibilité est d’enregistrer une conversation avec cette personne, afin d’analyser la qualité et la richesse de son langage.

En utilisant des banques de données contenant des enregistrements de participants suivis sur une échelle de plusieurs années, période au cours de laquelle certains ont développé la maladie d’Alzheimer, l’intelligence artificielle de l’équipe de la professeure Ratté a atteint un taux de succès de détection précoce d’un peu plus de 85 %.

Maintenant, le défi est de distinguer les signes avant-coureurs de l’alzheimer de ceux d’autres types de démences. « On doit trouver quelles sont les principales caractéristiques de chacune d’entre elles, précise Sylvie Ratté. À l’heure actuelle, on fait un suivi de la dégradation uniquement grâce à un enregistrement audio, mais bientôt, on pourra aussi le faire avec des caméras suivant les expressions faciales. En suivant le regard de la personne, son niveau d’attention ou son apathie, on pourra améliorer la détection. C’est important d’avoir plusieurs modalités. » Chaque élément supplémentaire peut donc affiner le diagnostic.

Rester chez soi

L’intelligence artificielle ne sert pas qu’au diagnostic précoce de l’alzheimer. Pour les personnes chez qui les symptômes de la maladie ont déjà commencé à se manifester, elle pourrait être utilisée pour assurer une certaine forme de suivi à domicile. À l’aide de différents types de capteurs, ces algorithmes permettent non seulement de porter assistance à un patient mal en point, mais également d’offrir un cadre sécuritaire permettant aux personnes affectées par la maladie de rester quelques années de plus à la maison.

C’est du moins ce que tentent de faire des chercheurs comme Sébastien Gaboury, professeur au Département d’informatique et de mathématique de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). « Équiper un domicile de capteurs permet de voir ce que la personne qui y vit fait en temps semi-réel, explique le chercheur. On veut reconnaître l’activité de la personne, mais surtout détecter s’il y a un changement dans ses habitudes à court, moyen et long termes. Comment occupe- t-elle ses journées ? S’abreuve-t-elle et s’alimente-t-elle bien ? Cuisine-t-elle ou sort-elle de moins en moins ? Fait-elle de l’errance nocturne ? Suivre tout ça dans le temps et signaler la présence de changements à un clinicien peut faciliter non seulement le suivi, mais aussi l’envoi d’un intervenant. »

Attention : il ne s’agit pas ici de renoncer entièrement à sa vie privée en vivant sous l’oeil de caméras. En fait, les capteurs les plus utilisés par l’équipe du professeur Gaboury sont surtout ceux qui permettent de détecter des mouvements — comme le fait un système d’alarme à domicile —, ainsi que d’autres reconnaissant l’ouverture ou la fermeture de portes et d’armoires, ou encore des prises intelligentes en mesure de détecter la mise en marche d’appareils électroménagers.

« Ces capteurs donnent des informations indirectes et se basent sur des éléments que des algorithmes peuvent reconnaître, décrit Sébastien Gaboury. Une fois qu’on a assez de données, on peut commencer à analyser certains paramètres. Tout ce qui a été enregistré avant une date est considéré comme des paramètres normaux, et tout ce qui vient après devient le sujet de notre analyse pour vérifier si les comportements changent. » Le chercheur résume ainsi : « L’intelligence artificielle permet de décortiquer l’historique de vie d’une personne dans un environnement donné, pour ensuite voir s’il y a des changements subtils dans ses habitudes qu’on ne serait pas capables de voir autrement. »

Le point le plus important : ces systèmes sont bien acceptés par les occupants, selon le professeur de l’UQAC. « Les études tendent à montrer que quand les personnes âgées sont informées du fait que ces technologies peuvent les aider à rester plus longtemps à la maison, elles les acceptent. Mais pour ça, il faut des équipes interdisciplinaires.»

L’intégration de ces systèmes dans un milieu de vie ne peut effectivement pas s’improviser ; des spécialistes doivent identifier les besoins et voir le patient comme un partenaire. « C’est vraiment ce qu’il faut pour faire progresser ces projets », conclut Sébastien Gaboury.

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Source :
Renaud Manuguerra-Gagné
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2022, p. 7-9

 

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